Les réseaux sociaux sont-ils des espaces publics ?
Télézapping : Facebook, « attention à vos amis ! »
envoyé par lemondefr. – L’info video en direct.
Peut-on encore s’interroger sur l’admission de la preuve dite « Preuve par Facebook » ?
En Chine, une jeune femme a été condamnée, ce mercredi, à un an de travaux forcés pour avoir moqué sur son compte Twitter les rassemblements anti-japonais organisés par de jeunes nationalistes chinois.
A plusieurs milliers de kilomètres de l’empire du milieu, à quelques clics sur la toile, il est également possible d’apprendre que le Conseil des prud’hommes de Boulogne-Billancourt (une juridiction française de première instance en droit du travail) reconnaissait, ce matin, la validité du licenciement de trois salariés pour « incitation à la rébellion » en raison de propos tenus sur le « Wall » de leurs pages Facebook.
À l’origine, considérés comme de véritables terrains en friches, germants à l’abri des réglementations étatiques, les réseaux sociaux seraient-ils en passe de plier sous une nouvelle forme de contrôle : celui de l’Etat et de ses autorités de poursuite, ou bien celui de l’employeur et de salariés zélés qui ensembles s’évertuent à étendre le domaine de l’espace public.
Ces deux décisions, bien qu’éloignées, nous renseignent sur l’étendue de l’espace public, espace dans lequel en France, l’usage de la liberté d’expression est susceptible de devenir abusif (article 11 de la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789).
S’il est autorisé par le Code du travail de critiquer son employeur, en revanche l’exercice de cette liberté d’expression peut être contrôlé par le juge, et restreint, quand il devient abusif. En l’occurrence, il semblerait que les propos tenus par les trois salariés étaient de nature calomnieuse puisqu’ « ils avaient promis de « rendre la vie impossible » à leur hiérarchie ».
Bien que visibles, par leurs seuls amis, puis par les amis de leurs amis, les Walls des trois salariés n’ont pas été considérés comme des espaces de confidentialité. Comme le note Maître Christianne Feral-Schuhl, on ne choisit pas les amis de ses amis.
Aussi, il devient possible pour un collègue, salarié de la même entreprise, et ami sur Facebook, de rapporter à l’employeur les propos, peu flatteurs, tenus par les salariés indélicats.
Les juges ont donc considéré que ces trois salariés n’avaient pas été suffisamment diligents lorsqu’ils ont configuré leurs paramètres de confidentialité, méconnaissant, en quelque sorte, les stipulations prévues par le chapitre 3 de la Politique de respect de la vie privée de Facebook :
« Cette section explique le fonctionnement de vos paramètres de confidentialité et la façon dont vos informations sont partagées sur Facebook. Vérifiez toujours vos paramètres de confidentialité avant de partager des informations sur Facebook. »Depuis mars 2015, Le Tribunal de Grande Instance (TGI) a considéré que la justice française était compétente pour connaître d’un litige entre FACEBOOK et ses usagers.
Outre cette question de la nature publique/privée des réseaux sociaux, qui fait peser sur l’internaute une obligation de prudence préalable au partage d’information, il s’avère que la véritable révolution portée par ce nouveau contentieux, demeure l’allègement du fardeau de la preuve pour celui qui veut faire cesser les conséquences préjudiciables de l’exercice abusif de la liberté d’expression.
En effet, en cas de litige, le réseau social devient le royaume de la PREUVE.
Grâce à « la preuve par Facebook », la matérialité d’une opinion est accessible à tout moment, pour presque toujours et par, semble-t-il, presque tout le monde.
En la matière, les magistrats accueillent, en nombre et sans réticences, les copies d’écrans de messages postés sur les réseaux sociaux. En France, en mai dernier, « le licenciement, …, de trois salariés … ayant critiqué leurs patrons sur Facebook reposait en effet sur des propos tenus “en privé“, mais qui avaient été copiés/collés par l’un de leurs “amis“, qui les avait dénoncés à sa hiérarchie ». On retrouve le même engouement au Canada, dans une affaire d’extorsion de fonds. En l’espèce, la Cour du Québec, accueillait sans difficulté la reproduction papier de courriels « en l’absence de toute contestation quant à leur intégrité » (Jugement Vandal c. Salvas, 2005 CanLII 40771 (QC C.Q.))
En s’entourant de peu de précautions pour accueillir ces modes de preuves, les magistrats semblent ignorer qu’il est très simple de falsifier une adresse de messagerie ou une page Facebook, voire de la pirater ponctuellement.
Voici incontestablement l’un des apports inquiétants de la « la preuve par Facebook ». Notons pour illustration qu’en France cette admission soulève deux difficultés : celle de l’origine du document électronique d’une part (1) et celle l’obtention de celui-ci d’autre part (2).
1) Premièrement, il n’est pas sûr qu’en présence d’un message posté sur un « wall » Facebook qu’il « puisse être dûment identifiée la personne dont il émane et qu’il soit établi et conservé dans des conditions de nature à en garantir l’intégrité. » (art. 1316-1 du Code civil).
2) Deuxièmement, rappelons qu’en principe, la preuve doit être obtenue loyalement (Exigence du procès équitable et article 9 CPC). Il en résulte notamment qu’au civil comme au pénal la preuve obtenue par « un procédé déloyal (rend) irrecevable en justice la preuve ainsi obtenue (2ème civ. 7 octobre 2004 Gaz.Pal.31-12-04 au 4- 01-2005 p 9 et Bull. II n°447, p. 380) ».
Par conséquent, on peut se demander si les trois salariés n’ont pas été piégés par leur ami supposé, de sorte que la preuve aurait dû être jugée irrecevable. Aussi, espérons que cette affaire soit portée en appel afin que la Cour d’appel se prononce sur la loyauté de l’obtention de la preuve par Facebook.
En définitive, si l’on constate, en France, comme en Chine, un élargissement litigieux de l’espace public, englobant peu à peu l’immense étendue des réseaux sociaux, on est en droit d’espérer, tout de même, qu’au pays des droits l’Homme, la garantie du procès équitable soit respectée.
Voir l’article écrit parValentin Callipel sur le blog deVincent Gautrais (Professeur à la Faculté de droit de l’Université de Montréal) à l’adresse : http://www.gautrais.com/